Face aux faux arguments du « groupe d’experts » sur le SMIC

Face aux faux arguments du « groupe d’experts » sur le SMIC

Depuis des années les gouvernements ont entrepris de baisser le « coût du travail » (la part de la valeur ajoutée qui va au salaire direct et socialisé) en accumulant les exonérations de cotisations et les crédits d’impôt pour les employeurs (CICE, etc.). Jusqu’ici ces politiques avaient surtout coûté cher à l’Etat et aux assurances sociales, mais maintenant qu’il ne reste presque plus de cotisations employeurs, cette politique est à bout de souffle. Pour aller plus loin, un comité, missionné par le gouvernement, préconise désormais de s’attaquer au pouvoir d’achat du SMIC net, en réformant son mode d’indexation.

Ce « comité d’expert.e.s », mis en place en 2008, a pour principale fonction de rendre un avis sur l’opportunité d’une augmentation discrétionnaire du SMIC (le « coup de pouce »). En pratique, il permet surtout au gouvernement de se dédouaner : « expert.e.s, dites-moi s’il faut revaloriser le SMIC ? », non répond le cœur des « expert.e.s ». Et le gouvernement, qui aurait bien voulu, se résout, la mort dans l’âme à ne pas le revaloriser.

Compte tenu de la composition du groupe d’expert, dont toute la carrière a consisté à expliquer le chômage par le « coût du travail » trop élevé, la réponse n’est jamais surprenante.

Mais cette année le groupe a innové un peu. En plus de rendre un avis – négatif quelle surprise – sur l’opportunité du coup de pouce, le groupe préconise non seulement de ne pas augmenter le SMIC mais surtout de le « désindexer ».

Démonter les manœuvres du gouvernement

Suite à la publication du rapport de cette année, la ministre du travail a annoncé de ne pas suivre les recommandations du « groupe d’experts ». Il n’en demeure pas moins que la volonté de réformer le SMIC sera traduite dans le futur projet de loi dite de « croissance et transformation des entreprises » (pas de démenti lors de la concertation sur l’épargne salariale) avec effectivement la désindexation par rapport au salaire moyen ouvrier/employé, avec toutes les conséquences que cela aurait sur le niveau du SMIC certes mais aussi sur les autres salaires et la répartition des richesses créées.

De plus, le « groupe d’experts » propose de passer d’une logique considérant le SMIC comme la rémunération du travail (1er niveau de salaire pour un emploi sans qualification, à titre transitoire) à celle de « filet de sécurité » (d’où la préférence pour la « prime d’activité »). Il s’agit, en fait, du passage du Travail à l’activité ; démarche qui traverse tous les projets de restructuration de notre modèle social, chère à E. Macron (ordonnances travail, assurance chômage…) [1].

Que signifie la « désindexation » du Smic ?

Actuellement le SMIC est indexé sur un indice des prix (inflation) et le pouvoir d’achat du salaire moyen ouvriers / employés (SHBOE). Mais cette indexation, un peu particulière est construite de telle sorte que le SMIC augmente le moins possible.

D’abord l’indice des prix retenu n’est pas l’indice des prix usuels de l’INSEE (Indice des prix à la consommation), mais un indice des prix de la consommation des ménages modestes. Depuis plusieurs années, cet indice augmente moins vite que l’indice des prix ! Et quant au gain de pouvoir d’achat du salaire moyen, l’indexation du SMIC l’intègre, en la divisant par deux (pour être bien sûr que le SMIC s’éloigne progressivement du salaire moyen). Depuis la mise en place de ce « comité d’experts », le SMIC n’a connu qu’un coup de pouce a minima, de 0,6% en 2012.

Aussi le SMIC augmente, du fait de l’indexation, mais pas très vite : le pouvoir d’achat du SMIC brut a augmenté de seulement 4 % en neuf ans, (0,4% par an), autant dire rien (et 3 points de moins que le salaire moyen ouvriers / employés).

De plus, aucune inflation majeure ni hausse des salaires n’étant prévue à l’horizon, vouloir désindexer ne répond pas à un « risque » d’augmentation démesurée du SMIC, mais bien à la volonté de permettre au SMIC réel, en le laissant grignoter petit à petit par l’inflation.

Dans le même temps, du fait du CICE (qui rembourse aux entreprises 6% du salaire brut), et du pacte de responsabilité (qui a supprimé 1,8 point de cotisations employeurs), le « coût total employeur » d’un salarié au SMIC a baissé. Mais, aussi modeste soit-il, le gain de pouvoir d’achat est manifestement trop élevé pour l’employeur, et la baisse trop faible, puisque les expert.e.s proposent de revoir à la baisse l’indexation.

Les auteurs du rapport proposent deux formules : soit ne plus indexer du tout (et l’augmentation ne dépendrait que des « coups de pouce» du gouvernement), soit n’indexer que sur l’indice des prix au rabais, en abandonnant la référence au pouvoir d’achat du salaire moyen. Si cette règle avait été appliquée en 2008, le SMIC brut serait aujourd’hui de (1440€ au lieu de 1480€ actuellement).

Les arguments invoqués pour la désindexation du SMIC (sur les salaires moyens et l’inflation) sont spécieux. Reprenons-les.

L’argument principal est classique et connu, mais de moins en moins convaincant : le niveau du SMIC serait l’ennemi de l’emploi. Or depuis 2012, le coût réel du SMIC a fortement baissé avec le CICE et le pacte de responsabilité, sans que personne ne mesure d’effet notablement positif sur l’emploi. On peut donc se dire raisonnablement qu’une hausse du SMIC n’aura pas d’effet dans l’autre sens.

Les autres arguments du rapport sont moins courants

Deuxième argument : il y aurait une « circularité » dans l’indexation. Une hausse du SMIC générerait de l’inflation et une hausse des salaires de référence, donc une nouvelle hausse du SMIC (sans fin). Cet argument invoqué à répétition, n’est pas chiffré dans le rapport (tiens donc), mais avec les annexes on peut calculer qu’une hausse de de 5% du SMIC (hors inflation) conduirait à une hausse supplémentaire de 0,25%. Cet effet est donc très faible, et ne justifie pas une désindexation.

Troisième argument : les hausses de SMIC vont coûter cher à l’État parce que cela augmenterait les exonérations de cotisations employeur. Du coup il ne faut pas augmenter le SMIC. Sur le papier, n’est pas faux : lorsque le SMIC augmente, les exonérations sur les salaires au-dessus du SMIC augmentent également. Mais le SMIC est d’abord un salaire, avant d’être une source d’exonération. Aussi se servir du coût des exonérations pour ne pas augmenter le SMIC c’est renverser complètement l’ordre des choses. De plus, le gouvernement a en main les outils pour augmenter le SMIC sans augmenter les exonérations : un décret suffirait pour recaler les exonérations proportionnellement à la hausse du SMIC pour qu’elles n’augmentent pas en volume.

Quatrième argument : le rapport compare l’effet de la prime d’activité et du SMIC sur le taux de pauvreté. Selon ces « expert.e.s », il vaudrait mieux augmenter la prime d’activité car cela cible davantage les ménages sous le seuil de pauvreté alors qu’il y a des travailleuses et travailleurs au SMIC qui ne sont pas « pauvres » au sens statistique du terme. Augmenter le SMIC réduirait donc moins la pauvreté qu’augmenter la prime d’activité. Sur le fond, confondre ainsi la régulation des salaires et la redistribution de revenus est une erreur. La redistribution ne permet pas de résorber les inégalités qu’on laisse se créer sur le marché du travail. Sur la forme, opposer ainsi deux mesures, d’ampleur modérée, en raisonnant à budget donné, alors que les allègements de fiscalité pleuvent, est spécieux. Les deux mesures sont compatibles.

De plus se servir de l’argument du « taux de pauvreté » pour expliquer qu’il ne faut pas augmenter le plus bas des salaires, parce qu’il concerne des salarié.e.s pas tout à fait pauvres, est particulièrement malvenu.

Par ailleurs, le « coup de pouce » (auquel s’oppose le rapport) augmenterait le pouvoir d’achat et réduirait les inégalités en général (le SMIC concerne 12% de femmes salariées du privé, 6% de salariés). Il pourrait, de plus, contribuer à comprimer les inégalités femmes-hommes (62% des personnes au SMIC sont des femmes).

Bref. On nous parle de désindexation. Le mot cache une baisse programmée du pouvoir d’achat du SMIC.

[1] Pour plus de détail, voir l’interview de Fabrice Angéi paru dans L’autre Quotidien http://www.lautrequotidien.fr/gratuit/2017/12/6/ce-rapport-explosif-qui-prconise-la-fin-de-la-revalorisation-automatique-du-smic-f3x3h

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